Dissociation et dépersonnalisation : Quand l’enfance laisse des traces invisibles
- mylenemartinhypno
- 10 avr.
- 5 min de lecture
Lorsqu’on évoque les traumatismes d’enfance, on pense souvent aux grandes blessures : abus, violences physiques ou négligence extrême. Pourtant, la psyché d’un enfant est malléable et sensible, et des événements bien plus subtils peuvent avoir un impact profond, souvent méconnu ou minimisé.
Certains enfants, pour survivre émotionnellement à des situations qui leur sont insupportables, développent des mécanismes d’adaptation comme la dissociation et, parfois, la dépersonnalisation. Ce sont des stratégies inconscientes qui permettent de « mettre en pause » la douleur, mais elles peuvent se prolonger à l’âge adulte et impacter profondément la manière dont une personne perçoit ses émotions et ses relations.

La dissociation : un mécanisme de protection invisible
La dissociation est un état dans lequel une personne se coupe de ses émotions, de ses sensations ou de la réalité pour se protéger d’un stress ou d’une douleur trop intense. Elle peut se manifester sous différentes formes :
Une sensation de vide intérieur, d’être « déconnecté » de soi-même.
Un flou dans les souvenirs d’enfance, comme si certains événements n’avaient pas existé.
Une minimisation constante de ses propres souffrances : « Ce n’était pas si grave », « Je ne m’en rappelle même pas, donc ça ne m’a pas marqué ».
Un automatisme de détachement face à la douleur, qui peut donner l’impression d’être émotionnellement insensible.
La dissociation n’est pas toujours évidente à repérer, car elle peut se manifester de manière fonctionnelle : des adultes peuvent réussir leur vie sur le papier tout en étant émotionnellement détachés, incapables de comprendre pourquoi ils ressentent un vide intérieur ou pourquoi ils reproduisent des schémas du passé sans les remettre en question.
La dépersonnalisation : quand on se sent étranger à soi-même
La dépersonnalisation est une forme plus poussée de dissociation où l’on a la sensation d’être un observateur extérieur de sa propre vie. C’est un mécanisme de défense qui se déclenche face à des situations où l’émotion devient insupportable. Cela peut se traduire par :
Un sentiment d’irréalité : comme si l’on était dans un rêve ou un film.
Une perte de connexion avec son propre corps : impression d’être en pilotage automatique ou de ne pas être « vraiment là ».
Un détachement émotionnel extrême : ne plus ressentir d’émotions fortes, même dans des situations qui devraient normalement provoquer une réaction.
Un trouble de la perception du temps et de l’espace : les événements peuvent sembler flous, distants ou irréels.
Qu’est-ce qui peut provoquer la dépersonnalisation ?
Elle se déclenche souvent chez les enfants soumis à un stress chronique, en particulier lorsque :
Ils sont exposés à des situations où ils ne peuvent ni fuir, ni se défendre (ex : un environnement familial toxique ou des humiliations répétées).
Ils doivent continuellement réprimer leurs émotions pour ne pas décevoir ou contrarier leurs parents.
Ils vivent dans un contexte instable où la sécurité émotionnelle est constamment menacée (ex : conflits parentaux, comportements imprévisibles d’un adulte référent).
Ils subissent des violences émotionnelles subtiles, comme des critiques constantes ou un manque total de validation affective.
À l’âge adulte, la dépersonnalisation peut devenir un état par défaut, une manière inconsciente de se protéger d’un stress intense ou d’une surcharge émotionnelle. Certaines personnes peuvent même vivre des épisodes de dépersonnalisation sans en comprendre l’origine, alors qu’ils sont liés à des blessures de l’enfance enfouies sous la dissociation.
Les "petits" traumatismes de l’enfance qui laissent des séquelles
Beaucoup de traumatismes d’enfance ne sont pas perçus comme tels, ni par la société ni par les adultes qui les ont vécus. On pense souvent que seuls les événements graves marquent durablement, mais l’accumulation de blessures plus subtiles peut conduire à des mécanismes de dissociation tout aussi profonds.
Les "petites" humiliations répétées
Un enfant qui entend régulièrement des remarques comme :
« Tu es trop sensible. »
« Arrête de pleurer pour rien. »
« Tu es nul en maths, de toute façon. »
« Regarde ton frère/ta sœur, il/elle fait mieux que toi. »
… peut apprendre à se couper de ses émotions pour ne plus ressentir la douleur d’être rabaissé.
L’insécurité affective et l’abandon émotionnel
Un enfant qui ne reçoit pas assez d’attention, d’affection ou de validation émotionnelle de la part de ses parents peut se retrouver dans un état de vigilance permanente. Même si ses besoins de base sont comblés (nourriture, toit, école), son besoin fondamental de connexion et de sécurité émotionnelle est ignoré. Cela peut être le cas lorsque :
Un parent est régulièrement en retard pour venir le chercher et l’enfant vit ce moment comme un abandon.
Les parents sont trop occupés ou stressés pour s’intéresser à lui, et l’enfant apprend à se rendre « invisible » pour ne pas déranger.
L’enfant exprime ses émotions et on lui répond « C’est pas grave, arrête de faire un drame. »
L’enfant comprend alors que ses émotions ne comptent pas, et pour survivre, il apprend à ne plus les ressentir pleinement. À l’âge adulte, cela peut mener à des difficultés relationnelles, une peur de l’abandon ou un schéma où l’on recherche constamment la validation des autres.
L’incohérence parentale et la confusion émotionnelle
Si un enfant vit dans un environnement où les règles changent constamment ou où un parent oscille entre affection et rejet, il peut développer une confusion émotionnelle qui entraîne une dissociation. Par exemple :
Un parent qui dit « Je t’aime » mais qui, quelques heures plus tard, ignore l’enfant ou le rabaisse.
Un parent qui fait du chantage affectif : « Si tu ne fais pas ça, je ne t’aimerai plus. »
Un parent qui ridiculise les émotions de l’enfant tout en exigeant qu’il exprime son amour et sa gratitude.
L’enfant ne sait plus sur quel pied danser et, pour gérer cette incohérence, il apprend à se couper de ses ressentis pour éviter la douleur et l’incompréhension.

Comment se reconnecter à soi et briser le cycle ?
Prendre conscience de sa dissociation est un premier pas vers la guérison. Quelques pistes pour commencer ce travail :
Reconnaître ses émotions sans jugement. Se poser la question : Quand je dis "ça ne m’a rien fait", est-ce que je le ressens vraiment ou est-ce une manière d’éviter une douleur ancienne ?
Explorer son passé avec bienveillance. Ne pas minimiser les souffrances vécues sous prétexte qu’« il y a pire ailleurs ».
Accepter que l’on puisse être marqué par des événements considérés comme anodins.
Sortir du schéma de reproduction. Si l’on s’est coupé de ses émotions pour survivre, il est possible de réapprendre à les ressentir en toute sécurité.
Les thérapies qui peuvent aider
Plusieurs approches thérapeutiques sont particulièrement efficaces pour accompagner une personne dans la reconnexion à ses émotions et la réintégration de ses expériences dissociées :
Thérapie EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing)
Idéale pour traiter les traumatismes, elle permet de retraiter les souvenirs douloureux de manière sécurisée.
Hypnothérapie
Permet d’explorer en douceur des souvenirs enfouis et d’apaiser les parties dissociées du psychisme.
Thérapie somatique (Somatic Experiencing, EFT, IFS)
Aide à relâcher les traumatismes stockés dans le corps et à rétablir un sentiment de sécurité intérieure.
Thérapie cognitive et comportementale (TCC)
Permet d’identifier et de modifier les schémas de pensée issus de la dissociation.
Psychothérapie analytique ou humanisteOffre un espace pour comprendre son passé et se réconcilier avec soi-même.
Conclusion : la souffrance invisible a des conséquences bien réelles
La dissociation et la dépersonnalisation sont des mécanismes de survie qui permettent aux enfants de supporter des réalités émotionnelles difficiles. Cependant, lorsqu’ils persistent à l’âge adulte, ils peuvent empêcher de vivre pleinement ses émotions et d’entretenir des relations saines. En reconnaissant ces blessures cachées et en leur accordant l’importance qu’elles méritent, il est possible de se reconnecter à soi et de briser le cycle.
Si vous avez grandi en pensant que « ça ne vous a rien fait », peut-être est-il temps de vous poser la question : Et si, en réalité, ça m’avait fait quelque chose ?
Mylène Martin
Hypnothérapeute à Quimper
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